Entretien avec Jean-Gabriel Périot – Lumières d’été
Son intérêt pour le Japon et son histoire, sa carrière de documentariste et sa cinéphilie, autant de sujets qui donnent un éclairage particulier à Lumières d’été, le premier film de fiction de Jean-Gabriel Périot. Rencontre avec un réalisateur précis et passionnant qui a eu envie de transformer en fiction son amour pour la ville d’Hiroshima.
Comment vous êtes-vous passionné pour le Japon et son histoire ?
Quand j’étais jeune, ma grand-mère m’a amené avec elle au Japon, en voyage organisé. Je n’ai plus beaucoup de souvenirs de ce voyage, mais il a laissé une empreinte… Ma vraie relation à ce pays, à son histoire, commence plus tard, quand j’achète par hasard dans une librairie d’occasion un livre écrit par un survivant du bombardement de Hiroshima, Tamiki Hara, un jeune écrivain qui s’est suicidé quelques années après la bombe. Son livre, Hiroshima, Fleurs d’été, m’a fait découvrir ce qu’avait été Hiroshima. Cela dépassait largement le peu que j’avais appris au lycée. Après la lecture de ce livre, je me suis plongé dans l’histoire d’Hiroshima et du bombardement et j’ai eu envie de faire un film sur la mémoire de la ville. Un projet qui deviendra 200 000 Fantômes, un court métrage pour lequel j’ai passé deux mois au Japon, deux mois durant lesquels j’ai vécu Hiroshima au quotidien et non pas comme un touriste. Et depuis, j’y retourne régulièrement. C’est une ville importante pour moi, une des villes que je connais le mieux au monde. D’ailleurs, ce que j’aime au Japon et à Hiroshima en particulier, c’est le quotidien, la vie de tous les jours, boire des cafés, se balader ou diner avec des amis… C’est cette vie de tous les jours que l’on retrouve d’ailleurs dans Lumières d’été.
Un personnage principal documentariste, c’était une façon d’assurer une transition entre le documentaire et la fiction ?
Probablement… En tout cas, lors de l’écriture, je n’ai pas cherché à théoriser ou à expliciter les rapports qui allaient s’établir dans le film entre documentaire et fiction. D’ailleurs, dans ma propre pratique du cinéma ou comme spectateur, je ne fais pas de distinction entre ces deux « genres » supposés presque opposés du cinéma. Ce qui est certain, c’est que je voulais écrire une histoire totalement fictionnelle mais interrogeant une histoire concrète et se déroulant dans des espaces réels. Lumières d’été joue sur deux temps différents, celui du passé, de la mémoire et celui d’aujourd’hui. Mais ce n’est jamais très net, tout s’imbrique. En tout cas, le personnage se présentant lui-même comme un réalisateur de documentaires télé qui aurait voulu être un « vrai » cinéaste, il fait lui des distinctions entre documentaire et fiction que je ne fais pas moi.
Comment est née cette histoire ?
J’avais l’envie depuis quelques années de faire un film qui aurait pour personnage quelqu’un qui se confronte à des évènements catastrophiques et qui montrerait comment cette expérience peut le transformer… J’avais également envie de refaire un film sur et à Hiroshima. Non pas un film sur le bombardement lui-même, mais un film-portrait de la ville telle que je la connais. Une ville à la fois très contemporaine, presque joyeuse et en même temps ancrée dans le passé et dans la mémoire du bombardement. Le film traduit en quelque sorte ma propre expérience d’Hiroshima, de son histoire et ce que cette ville a pu m’apporter.
Le style du film est très influencé par la culture cinématographique asiatique, pouvez-vous nous parler de votre cinéphilie, de vos films de référence ?
Je ne suis pas très cinéphile et en tant que cinéaste, je ne m’inspire jamais d’autres films ou d’autres réalisateurs. D’ailleurs, les films que je réalise sont très loin de ceux des cinéastes que j’admire… Je pourrais par exemple ici citer Pasolini, Dumont, Dreyer, Loztinsa, Godard ou Vertov. Par contre, en terme de cinématographies nationales, je préfère le cinéma japonais à beaucoup d’autres, notamment français. D’ailleurs, les deux seules références que j’ai pu glisser presque imperceptiblement dans le film sont celles aux Contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi dont on a repris, en la modifiant, la danse de l’envoutement et Le Voyage de Chihiro de Miyazaki avec la séquence du train sur l’eau.
Quelles sont, de votre point de vue, les différences entre le métier de réalisateur de documentaire et de fiction ?
Comme je le disais avant, je ne fais pas de différence en tant que cinéaste entre fiction et documentaire. Dans ma pratique cinématographique, la vraie différence en terme de réalisation se trouve plus entre les films d’archives, comme Une jeunesse allemande, qui sont des films de montage et ceux pour lesquels je dois filmer et organiser un tournage. Mettre en scène des comédiens dans un espace réel ou des « vrais » intervenants est le même travail, on fonctionne avec les mêmes codes, selon les mêmes usages. Je suppose que faire des films de fiction hollywoodiens, dans des studios, avec des effets spéciaux est un métier vraiment différent, mais dans le cinéma que je fabrique, que les films soient documentaires ou fictionnels ne change pas beaucoup la manière dont je les réalise.
Quels sont vos projets ?
Je travaille en ce moment sur des films très différents. Deux courts métrages arrivent rapidement. L’un, sur la jungle de Calais, est en post-production et l’autre, sur un chœur amateur de chant lyrique, est bientôt en tournage. Et sinon, je suis en train d’écrire deux longs métrages, un film sur Sarajevo et une comédie musicale. Encore des projets éloignés de ce que j’avais fait jusque-là…
Franck Finance-Madureira
FrenchMania
16 août 2017
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